Un des plus anciens cépages de France
Je suis sur le point d’arriver à Thoré-la-Rochette, le fief de Patrice Colin.
Entouré par les champs de blé qui s’étendent à perte de vue, il est difficile d’imaginer qu’un vignoble puisse coexister avec ces vastes terres céréalières du Loir-et-Cher. Et pourtant… .
L’Appellation d’Origine Protégée Coteaux du Vendômois ne date que de 2000. Mais la culture de la vigne y est ancestrale.
Rattachée par son département à la Touraine, cette appellation se révèle néanmoins d’avantage saumuroise par ses traditions viticoles.
Côté vignes, le ligérien Chenin domine dans les vins blancs. Il peut être accompagné d’une minorité de Chardonnay (maximum 20% de l’assemblage).
Concernant le rosé, le gris d’Aunis, c’est tout naturellement le cépage roi du coin, le Pineau d’Aunis qui emporte la mise.
Celui-ci tient son nom du village d’Aunis situé près de Saumur. Variété de raisin endémique, on le cultive également sur les Coteaux du Loir (Sarthe), un peu en Touraine et en Anjou.
Son implantation remonterait au XIIIe siècle.
Tannique, pourvu d’une franche acidité et peu colorant, le Pineau d’Aunis est majoritaire dans les rouges et peut être assemblé avec des cépages accessoires : le Cabernet-Franc, le Pinot Noir et le Gamay.
Le fruit de 8 générations de vignerons
La polyculture régnait en maître sur le domaine Patrice Colin. Ça c’était jusque dans les années 80.
A cette époque, le père de Patrice pratiquait l’élevage, cultivait les céréales et la vigne.
La partie vin était prise en charge par un salarié. Celui-ci décidant un jour de quitter le domaine, Patrice est obligé de venir à la rescousse sur les terres familiales.
Il ne s’agit théoriquement que d’un remplacement temporaire.
Pourtant plus de 30 ans après, Patrice est toujours là !
Il décide alors de transformer le vignoble.
Il veut le façonner à son image et selon ses idées.
Sous l’œil paternel dubitatif, le travail des sols est relancé, le désherbage proscrit, les tailles sont courtes et soignées.
Patrice décide de revenir aux fondamentaux afin de faire du bon vin de manière naturelle. Il travaille sans aucune correction, ni chaptalisation, ni adjonction de produits œnologiques.
Aujourd’hui son domaine compte 25 hectares entièrement cultivés, répartis sur Thoré-la-Rochette et Vendôme.
C’est un des rares, si ce n’est le seul de l’AOP, a être certifié en Agriculture Biologique.
Un terroir magnifique et confidentiel
La situation du vignoble thorésien évoque une presqu’île : il est entouré presque entièrement par la vallée du Loir.
Véritable bouclier protecteur des vignes, la rivière dévie par sa présence les nuages qui arrivent de l’ouest. La pluviométrie est ainsi régulée et les épisodes grêleux évités.
Du haut de leur butte, les vignes culminent à 115 mètres d’altitude et bénéficient d’un mésoclimat au vent salvateur, favorisant le bon état sanitaire des raisins. Le sol est constitué d’argile à silex.
Les bois aux alentours apportent une belle biodiversité, si chère à Patrice. Le vigneron mène même un inventaire précis et minutieux des variétés de plantes se trouvant sur ses terres.
La seconde partie des terres de Patrice se situe à Vendôme sur la Pente des Coutis. Les vignes offrent un magnifique panorama sur la ville et sont plantées sur un sol calcaire, idéalement drainant.
L’admiration du vigneron pour la nature
Lorsque Patrice m’emmène voir son vignoble, il est assez aisé de différencier ses vignes de celles de ses voisins :
– La densité de plantation y est plus importante. Ceci afin d’obtenir de petites grappes et donc gagner en concentration.
– Les sols sont vivants. A côté on trouve certains sols désherbés chimiquement, ayant des airs de planète Mars.
– Les couloirs sont plus étroits, 1m20 de large versus 2m pour les autres vignerons. Ces derniers, qui sont dans la plupart des cas avant tout des céréaliers, doivent effectivement pouvoir faire passer leur tracteur destiné aux champs… .
Les rangs sont enherbés afin de réguler les conséquences de la pluviométrie. C’est l’herbe qui va boire l’eau et donc éviter à la vigne de produire de trop gros grains de raisin, indésirables pour un joli vin.
Ainsi Patrice souhaite mettre en concurrence la vigne avec son environnement, apporter de la diversité.
Plus le sol est équilibré et riche, plus la plante qui pousse sur ce sol sera résistante.
Laisser pousser la flore permet également de nourrir les micro-organismes, d’enrichir, de décompacter et donc d’éviter l’érosion des sols.
La tonte est entreprise lorsque la flore est haute. Les vignes sont basses, il est donc important que la végétation ne monte pas trop afin que la photosynthèse puisse bien se faire.
La passion transpire des paroles de Patrice. On sent un attachement viscéral à ce fantastique patrimoine hérité de ses aïeuls, un enracinement profond dans sa terre familiale.
Ce vigneron semble comme investi d’une mission, celle de cultiver avec la conscience de son environnement. « Après tout on est pas sur terre que pour faire du business » glisse-t-il.
Privilégier l’expression du terroir
A la dégustation, les vins de Patrice sont reconnaissables par leur droiture, leur franchise et leur netteté.
2 rosés sont produits. La cuvée « Gris » est vinifiée en cuve inox afin de préserver la fraîcheur. Elle se caractérise par un nez typiquement épicé, une bouche tonique et acidulée.
« Gris de Bodin » 2015 est exactement réalisé de la même manière que « Gris ». Seule différence mais de taille : les raisins sont récoltés à partir de très vieilles vignes plantées en 1920 ! On y trouve d’avantage de complexité, de structure, de profondeur et de matière. La finale se révèle délicieusement saline. C’est un pur vin de gastronomie.
4 blancs sont ensuite au programme. « Pierre à feu » 2014 est un 100% chenin provenant d’un sol couvert de silex.
Une forte exposition permet « de récolter les raisins dorés comme des mirabelles ». Un vin léger, sec et ciselé, aux notes persistantes d’agrumes.
« Vieilles Vignes » 2015 fait preuve d’une grande tension. D’énergiques saveurs de fruits du verger dominent et offrent un cru idéal pour accompagner un poisson en sauce ou un fromage de chèvre.
Tous les chenins mènent à Vendôme. « Pente des Coutis » a bénéficié d’une exposition plein sud et permet à ce grand cépage de délivrer un jus imposant et riche en fruit (coing, abricot).
« Le C » 2014 est à la fois l’unique vin monocépage chardonnay et la seule cuvée de Patrice élevée en fût de chêne neuf. Irrésistible sensation d’opulence et de gras.
Quelques jolis vins de garde
Concernant les rouges, le Pineau d’Aunis, le Pinot Noir et le Cabernet-Franc fraternisent afin de nous livrer un vin de copain à la fois rustique, gouleyant et épicé: « Pierre-François » 2014.
« Emilien Colin » 2014 est issu de vignes plantées entre 1890 et 1920 ! Tout le travail sur ces vignes est réalisé à la main et au cheval, afin de ne pas brusquer ces vénérables et fragiles ceps. Équilibre et finesse sont les maîtres mots.
Également des vignes centenaires pour le robuste « Intuition » 2014, au jus dense et aux tanins affirmés. Encore très serré, il présente un potentiel de garde impressionnant.
Enfin ne surtout pas passer à côté des vins pétillants. « Perles Grises » (Pineau d’Aunis) chatouille les narines par son parfum de poivre et titille les papilles par sa nervosité. « Perles Rouges » propose un travail orignal du gamay, une bulle joyeuse et gourmande à souhait.
Comment des vignes désherbées à outrance pendant des décennies peuvent espérer produire de grands vins…les vins rouges de pineau d’aunis de ce domaine se confondent avec un simple gamay tant elles ont été matraquées, la contracdiction du soudainement bio dans toute sa splendeur.
Il suffit de mettre ceux de Montrieux à côté pour comparer…night and day.
Il est vrai que ce vignoble a subi pendant longtemps l’utilisation de pesticides, fongicides et autres produits de synthèse.
Cependant le domaine pratique l’agriculture biologique depuis 2008. Les choses ont changé. Les sols se régénèrent. La vigne interagit autrement.
Je ne parlerais donc pas de conversion “soudaine” à l’agriculture biologique… .
Je trouve aussi que certains vins issu du pineau d’Aunis peuvent faire penser au gamay, notamment de par la fraîcheur, l’acidité du jus.
Enfin vous évoquez les vins d’Emile Hérédia. Ce vigneron fait également de magnifiques vins avec ce cépage endémique.